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01 mai 2018

Carnet / Mai 68 : du bateau ivre à la galère

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Dans ma vie provinciale d’enfant choyé et bien protégé, le tumulte et le désordre de la politique ne me parvenaient que très atténués, comme assourdis par l’enclavement d’Oyonnax blottie au milieu de sa vallée qu’on n’avait pas encore eu l’idée ridicule d’appeler la Plastic vallée. J’avais en revanche bien compris que les enfants scolarisés dans l’enseignement public n’allaient pas en cours en raison des grèves alors que nous autres, dans le privé, ne pouvions bénéficier de ces vacances extraordinaires. À l’école Jeanne d’Arc, maîtres et maîtresses n’évoquaient évidemment pas les événements de mai dans leurs classes. mai 68,blog littéraire de christian cottet-emard,évocation,souvenir,carnet,note,journal,christian cottet-emard,prairie journal,politique,galère,bateau ivre,révolution,crise des missiles de cuba,concile vatican 2,vingtième siècle,oyonnax,haut bugey,ain,rhône alpes,france,école jeanne d'arcIls devaient probablement se contenter d’en parler au moment  des récréations pendant que nous étions occupés à nous bagarrer, à nous disputer nos billes d’agate ou de terre colorées ou à participer au concours de celui qui pisse le plus loin ou le plus haut. Ce concours perdit les faveurs des concurrents le jour où le champion du jet en hauteur fut disqualifié non pas par un compétiteur qui lui eût ravi son titre mais par une brise malicieuse qui lui doucha durablement son honneur, son prestige et sa blouse d’écolier. Lorsque je pense à mai 68, j’avoue que ce souvenir cocasse est plus présent dans mon esprit que le contexte politique de l’époque. Évidemment, les jeunes des grandes classes et surtout ceux qui étaient au collège ont sans doute vécu plus en conscience ces événements.

 

Lorsque je discute aujourd’hui de mai 68 avec des personnes qui ont dix ans de plus que moi, voire plus, je mesure l’écart de perception, surtout quand je relativise le bilan de ce coup de fièvre, ce qui déclenche de vives réactions, notamment de la part de celles et ceux qui sont nés à la fin de la seconde guerre mondiale et qui étaient personnellement investis dans le mouvement. Ils ont connu l’ancien monde dont les gens comme moi, nés à la fin des années cinquante, n’ont vu que les derniers vestiges. L’ambiance dans la société avait déjà changé même s’il fallait encore attendre que sautent les derniers verrous ainsi que cela se produisit en mai 68. Avant cette insurrection, deux autres événements avaient déjà modifié le contexte : le dénouement positif de la crise des missiles de Cuba (1962) et le concile Vatican II (commencé en 1962 et terminé en 1965). J’ai écrit dans mon livre Prairie journal que je me considérais comme le rejeton de Vatican II, de la crise des missiles et de mai 68, les trois épisodes qui ont en commun de s’être déroulés pendant mes années d’écoles maternelle et primaire dans la décennie 1960. Lorsque j’ai pris conscience de cet héritage et que je l’ai étudié en entrant dans l’âge adulte, je me suis aperçu qu’en classant ces événements par ordre d’importance, mai 68 n’arrivait à mes yeux qu’en troisième position. L’explication est simple : premièrement, j’ai vécu dans la crainte de la guerre nucléaire une grande partie de ma jeunesse ; deuxièmement, je me suis toujours senti proche de la culture chrétienne bien que n’ayant pas la foi. En revanche, je n’ai jamais éprouvé de grand intérêt pour la politique, ce qui fait qu’aujourd’hui encore, je ne peux parler de mai 68 qu’avec beaucoup de distance critique. Je n’en mésestime et sous-estime pas pour autant la portée et l’influence, je pense simplement que la crise des missiles, Vatican II et mai 68 sont à mettre en relation pour analyser et comprendre le mode de pensée et le rapport au monde qui prévalait jusqu’à nos jours dans les grandes démocraties occidentales. Je crois aussi qu’une page est en train de se tourner, notamment avec le recul du niveau de culture générale de base, la fragmentation du rapport à la spiritualité et surtout, hélas, le retour du religieux dans sa forme la plus archaïque, obscurantiste et violente du fait de l’influence active et pernicieuse d’une religion radicalement étrangère et hostile à la pensée et au mode de vie de l’Occident. Ceci dit, pour rester au plus près du thème de mai 68, je crois utile de préciser quelques points afin de bien montrer que je ne suis pas de ceux qui prétendent en liquider l’héritage puisque ce dernier, dans ses aspects négatifs, a tendance à se liquider tout seul. Je préfère pour l’instant prendre en considération les effets positifs en rappelant le contexte de l’époque.

 

Avant mai 68, il faut reconnaître que la société était bloquée à bien des égards, notamment pour les jeunes. Filles et garçons vivaient dans une atmosphère encore empreinte de rigidité sociale et de puritanisme qui ne leur laissait guère de perspectives malgré la formidable élévation du niveau de vie et de connaissance. Peu écoutés et peu pris au sérieux, les jeunes passaient directement du statut de gamin au statut d’adulte le jour où ils étaient admis à voter (à 21 ans), à travailler et à fonder une famille. Pour les jeunes femmes, y compris celles qui intégraient le monde du travail dans un contexte d’inégalité, notamment salariale, l’horizon se limitait au mariage et à la maternité qui consacraient l’entrée officielle dans l’âge adulte. Pour les jeunes hommes, ce passage était encore retardé par le service militaire obligatoire. Pas moyen d’être considéré comme un adulte avant d’avoir sacrifié à ce rite d’un autre âge. Pour les grands adolescents qui étaient déjà de jeunes adultes sans être considérés comme tels, le slogan Sois jeune et tais-toi résumait bien la vision que la société aveugle et sourde à leurs aspirations nouvelles leur renvoyait d’eux-mêmes, ce qui ne pouvait que créer un cocktail de frustrations explosif, une bonne affaire pour certaines forces politiques d’opposition qui n’étaient pas toutes bien intentionnées sur le plan démocratique.

 

Aujourd’hui, cinquante après, la patine du temps s’est déposée sur un mouvement insurrectionnel qu’il était encore tout récemment question de commémorer de manière officielle (!) ce qui indique que l’esprit ancien combattant va parfois se nicher là où on ne l’attendait guère ! Les médias qui évoquent actuellement mai 68 adoptent souvent un angle qui privilégie une vision nostalgique voire pittoresque plus ou moins fondue dans l’imagerie de la jeunesse turbulente de l’époque avec ses chansons, sa musique, ses slogans et sa littérature. Il faut pourtant se rappeler que mai 68 n’était pas qu’un monôme d’étudiants. Parmi les courants politiques qui traversaient le mouvement, certains étaient très violents et volontiers partisans d’instaurer des régimes soi-disant révolutionnaires sous lesquels il ne ferait pas bon vivre aujourd’hui. Rien que dans ma petite ville éloignée de tout, certains meneurs de groupuscules d’extrême gauche heureusement minoritaires se vantaient d’avoir établi des listes noires de personnes à éliminer localement en cas de Grand Soir. Lorsque j’aborde ce point avec des amis poètes et écrivains plus âgés que moi et qui furent engagés à des degrés divers, non seulement dans les défilés mais encore dans les émeutes, j’ai bien du mal à garder mon calme lorsque je les écoute évoquer certains épisodes en arborant le genre de sourire attendri qu’on affiche lorsqu’on parle du bon vieux temps. Je pense notamment à un ami auteur qui me décrivait comment, avec son groupe, ils s’étaient discrètement postés à l’entrée d’un cantonnement de CRS pour attendre leur retour des manifestations afin de les caillasser à coup de lance-pierres dont les munitions étaient de gros boulons de métal. Parmi ces gens qui sont désormais de paisibles retraités pas si mal traités que cela par un État qu’ils jugeaient jadis policier mais qui, en pleines Trente Glorieuses, leur permit tout de même de mener d’assez bonnes carrières professionnelles, j’en connais encore beaucoup qui ont du mal à s’émouvoir aujourd’hui à la vue de policiers qui reçoivent des cocktails molotov dans leurs voitures, qui se font lâchement attaquer par des bandes de voyous en embuscades et agresser à leur domicile. Lorsqu’on parle à ces mêmes personnes de la casse lors des émeutes, des arbres coupés, des voitures détruites et de l’ampleur des dégâts matériels, on s’entend répondre qu’il ne s’agissait justement que de matériel. Peu leur importe que les bagnoles incendiées n’étaient pas celles des grands bourgeois capitalistes bien à l’abri dans leurs vastes demeures mais celles du populo qui ne possédait pas de garage ! Eh oui, le détail est mesquin mais la Révolution a ses trivialités...        

 

Nous pouvons tous aujourd’hui dresser un bilan de mai 68 à l’aune de nos opinions politiques, de nos utopies et de notre vision du monde personnelle. La mienne admet volontiers que les sociétés démocratiques ne peuvent le rester qu’à la condition d’un rapport de forces admissible entre pouvoirs et contre-pouvoirs. L’un des aspects positifs de mai 68 fut à mon avis d’entériner de fait ce modèle de rapport de forces qui permet un fonctionnement relativement équilibré des démocraties, aussi imparfaites soient-elles.

 

Le bilan n’est pas pour autant mirobolant. Mai 68 n’a pas libéré que des énergies positives. Dans son essence et sa théorie, le mouvement s’adressait à l’intelligence, à la créativité, au désir d’épanouissement individuel et collectif, à l’aspiration à une vie moins bornée, moins étriquée, à la foi en ce que l’humanité peut donner de meilleur. Beaucoup n’ont hélas pas compris le message et l’ont interprété comme la liberté de dire et de faire n’importe quoi. En chaque utopie somnole le chaos. En cinquante ans de pensée soixante-huitarde, nombre d’utopies ont rapidement fané en formant lentement un terreau favorable aux prémices du chaos vers lequel la société occidentale se jettera si elle ne réaffirme pas ses fondamentaux et si elle continue à se dénigrer elle-même. Les problèmes que nous connaissons aujourd’hui et que nous désignons par le terme de crise (crise économique, crise environnementale, crise identitaire, crise migratoire, crise des banlieues, société en crise) trouvent tous à divers degrés leur origine dans les dérives d’une pensée soixante-huitarde détournée, récupérée, dévoyée. L’un des exemples le plus frappant et le plus précoce de ce dévoiement fut la fulgurante capacité du capitalisme le plus dérégulé à se saisir de cette pensée qui lui était pourtant hostile afin de la détourner à son profit avec une redoutable efficacité. Un tel paradoxe fut rendu possible en raison de la fragilité d’une pensée et d’une vision du monde à la fois immatures et dogmatiques. C’est ainsi que les grandes entreprises se sont dotées d’opulents services de communication dirigés par d’anciens soixante-huitards rameutant les vieux tubes pop et rock contestataires de leur jeunesse enfuie au service de luxueux spots publicitaires pour des produits d’énergie, de finance et d’équipement. Ils se sont non seulement embourgeoisés, ce qu’on ne saurait leur reprocher, mais encore transformés en promoteurs efficaces de ce qu’ils vomissaient dans leurs jeunes années. Ils contestaient violemment un système qui n’a eu aucun mal à les recycler parce que leurs aspirations politiques ne reposaient que sur des illusions et des rêves de surcroît plutôt conventionnels, une ressource dont notre monde marchand est friand et dont il sait très bien se servir.

 

Cette ironie du sort ne doit cependant pas masquer les effets positifs de mai 68. Il faut reconnaître que le meilleur bilan du mouvement apparaît dans le domaine social. Sur ce plan, les progrès sont incontestables. Il est bon que les employeurs dont la pente naturelle est d’exploiter les employés au maximum soient réfrénés dans leurs ardeurs par une résistance organisée et par une opinion publique puissante comme il est également bon que les contestataires soient conscients de la nécessité de ne pas tomber dans l’émeute aveugle et le chaos. C’est une affaire de limites à ne pas franchir dans les deux camps, ce que j’aime appeler un équilibre de la peur.

 

Poursuivons avec le bilan, bien moins positif sur le plan culturel. L’énergie et la spontanéité créatives libérées par mai 68 dans le domaine des arts et des lettres furent rapidement récupérées voire canalisées par la politique. La gauche fit de la culture son pré carré et, une fois au pouvoir, ouvrit les vannes du tout culturel d’où émergea le multiculturel dont les funestes effets se mesurent clairement aujourd’hui. En ce domaine aussi, l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions mais il y a plus préoccupant. Aujourd’hui, le secteur culturel baigne toujours dans l’héritage de mai 68 dont il est l’un des derniers bastions. Les postes clés dans les arcanes de ce système assez opaque pour le grand public sont encore majoritairement tenus par des soixante-huitards figés dans leur vision d’un monde qui ne se décide toujours pas à évoluer dans la direction qu’ils souhaitent. Nombre d’entre eux sont issus d’une bourgeoisie et d’une culture classique occidentale qu’ils renient et avec laquelle ils n’ont toujours pas réglé leurs comptes, ce qui les conduit à user de leur influence et de leur pouvoir de décision pour promouvoir tout ce qu’ils jugent et croient conforme à leurs illusions révolutionnaires perdues. C’est ce processus qui mène aujourd’hui du niveau national au plus modeste échelon local à la promotion de nombreux sous-produits de divertissement de masse hissés au rang de créations artistiques. Pour ne donner qu’un exemple de la forme la plus caricaturale de ce que l’industrie du tout culturel et du multiculturel parvient à vendre au grand public comme de la création artistique subversive alors qu’il ne s’agit de rien d’autre que de marchandises de grande consommation aux dates de péremption déjà dépassées depuis longtemps, on peut citer entre autres le rap. Limités aux aléas du divertissement populaire, ces phénomènes de déclassement culturel seraient négligeables s’ils ne s’accompagnaient pas de leur dimension idéologique et c’est ici que nous retrouvons maintenant les effets des dérives de la pensée soixante-huitarde dans ses ultimes soubresauts.

 

Frustrés de leur Grand Soir jamais advenu, parfois culpabilisés par leur embourgeoisement et constatant à grand peine que la mayonnaise de leurs idées les plus extrêmes et les plus fumeuses ne pouvaient pas prendre dans une société encore bien ancrée (y compris les classes populaires) dans la stabilité des bonnes vieilles habitudes matérialistes et individualistes, les soixante-huitards et surtout leurs pâles rejetons (Nuit debout et compagnie) ont cherché d’autres causes nettement moins estimables à défendre que celles des ouvriers et du petit peuple, classes sociales plus préoccupées à juste titre par une amélioration jamais évidente de leurs conditions de vie et de pouvoir d’achat que par les horizons aussi radieux qu’improbables d’une révolution appelée à refaire un monde qui n’en demande finalement pas tant. Pour toute une génération activement politisée à gauche et à l’extrême gauche qui arrive maintenant dans les 70 ans ou plus, la pilule est amère et l’époque pénible. Pour toutes ces personnes, il est compliqué de faire le deuil d’un système de pensée et de valeurs qui s’est durablement installé dans le déni des maux qui nous affectent depuis au moins le 11 septembre 2001. Quand on a construit une vie  intellectuelle et sociale entière sur un tel système, il est difficile de reconnaître à l'automne de la vie qu'on s'est trompé sur presque tout. Pour la génération intermédiaire, celles et ceux qui n'étaient encore qu'enfants en 68 et qui sont moins politisés bien qu'étant de sensibilité centre-gauche, l’adaptation à la réalité est moins problématique. C’est la raison pour laquelle, personnellement, je me réjouis d’être né trop tard pour avoir pris le risque d’être embarqué dans cette galère aux apparences de bateau ivre que fut, à mon avis, mai 68.

Photos : à l'école primaire Jeanne d'Arc (détail de photo de classe) et souvenir de jeu de billes (photo devant un détail de la fresque représentant le parc Nicod à Oyonnax. 

23 mars 2018

Carnet / Réponse à mes amis et connaissances qui me demandent si « j’ai viré catho » !

Même sans avoir la foi et peu préoccupé de pratique religieuse (je me considère comme agnostique), je travaille depuis plusieurs années sur des poèmes d’inspiration chrétienne dont il m’arrive de publier des extraits en revue ou sur le web dans les périodes de la Toussaint, de l’Avent, de Noël, de l'Epiphanie, des Rameaux et de Pâques. Ces poèmes que je qualifierais de variations personnelles sur le thème du sentiment religieux chrétien devraient s’inscrire, si je persiste dans ce projet, dans un ensemble qui traite généralement de l’Occident, un sujet certes très vaste et sans doute un peu trop ambitieux pour moi mais d’une importance cruciale dans ma vie, surtout dans le contexte actuel.

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Désolé de ne pouvoir créditer cette photo de moi en aube, je ne me souviens plus du nom du studio...

Les rares amis et connaissances qui lisent parfois ces fragments me demandent si « j’ai viré catho » pour reprendre leur expression ! Je leur réponds que même si ma vie n’est pas totalement gouvernée par l’Église Catholique Romaine, je n’ai jamais eu le désir de rompre avec ma culture chrétienne dans laquelle je me sens très bien, chez moi pourrais-je dire.

 

J’aimerais avoir la foi mais rien dans mon caractère sceptique, méfiant, individualiste et désengagé ne m’y prédispose. Je le regrette souvent car j’observe que dans les épreuves, notamment dans la lutte contre la maladie, les croyants sincères s’en sortent mieux. Je constate aussi qu’ils peuvent être moins sujets à la dépression et au désespoir existentiel, ce qui est tout à fait logique.

 

À l’inverse de beaucoup de gens de ma génération et de la précédente, je n’eus jamais de comptes à régler avec mon éducation religieuse qui fut basique et très libérale. Le jour où mes parents devinèrent que je m’étais soustrait au catéchisme grâce à un stratagème consistant à jouer sur mon inscription simultanée dans deux paroisses pour n’être présent dans aucune, je ne fus pas sanctionné. J’en profitai pour leur demander pourquoi ils m’avaient fait baptiser à la naissance. Ils me répondirent que cela ne pouvait pas me faire de mal et que par la suite, je serai de toute façon libre de croire et de pratiquer ou non. Quant à ma volonté d’échapper au catéchisme, elle n’exprimait pas d’hostilité de ma part à l’encontre de l’enseignement de la culture chrétienne mais mon refus d’être contraint, après les jours d’école qui m’étaient un supplice, de faire ce que je considérais comme des heures supplémentaires. 

 

Ma Confirmation et ma Communion Solennelle donnèrent lieu à de grandes réjouissances familiales et à des cadeaux parmi lesquels un splendide magnétophone à cassettes Bel & Owell qui ne me servit pas à grand-chose mais que je rêvais de posséder depuis longtemps. Je reçus aussi des parures de stylos dont certains me servirent  à écrire mes premières histoires. À la fin de ces repas de fêtes, il m’arriva plusieurs fois de siffler les fonds de verres de vin des adultes et de faucher un mégot de cigarette pour aller le fumer en cachette au jardin où je demeurais un moment pompette avant de retourner à table où personne ne remarquait ces incartades en raison des discussions d’après dessert qui se prolongeaient jusqu’en début de soirée.

 

La seule à me surprendre une fois dans ce tabagisme précoce fut mon arrière-grand-mère Clotilde qui m’ordonna en fronçant les sourcils de lui souffler mon haleine à la figure. Elle me sermonna discrètement mais ne dit rien pour les fonds de verre. Il faut dire qu’en hiver, lorsque je montais la voir à l’étage qu’elle occupait dans la maison, au-dessus de chez mes grands-parents, elle n’hésitait pas à me servir un demi-verre de vin chaud bien sucré accompagné d’une assiette de gaudes pour me réchauffer. De l’enfance à la fin de mon adolescence, j’eus la grande chance et l’immense bonheur de connaître mon arrière-grand-mère (née en 1882), son fils mon grand-père Charles et mes grands-mères paternelle et maternelle Yvonne et Marie-Rose.     

 

Enfant, j’accompagnais mes parents à la messe mais pas tous les dimanches, surtout à l’occasion des grandes fêtes. Il pouvait m’arriver d’y trouver le temps long mais le plus souvent, les couleurs et les scènes des vitraux suscitaient en mon esprit d’agréables rêveries. De plus, j’étais déjà sensible à la musique d’orgue et aux chants. Avant de quitter l’église, j’avais parfois droit à l’un des magazines pour la jeunesse exposés librement à l’entrée et qu’on réglait de quelques pièces dans un tronc. Il ne serait évidemment venu à l’idée de personne de ne pas les payer. À la sortie de la messe de Pâques, sous le porche de l’église Saint-Léger d’Oyonnax, mes parents achetaient des sachets d’œufs en chocolat praliné vendus au profit de la paroisse. Ils étaient si beaux et si délicieux que j’en ai encore le goût sur la langue.

 

Je donne tous ces détails autobiographiques sans grand intérêt pour autrui afin de montrer que dans ma famille, je n’eus jamais à souffrir de la moindre pression religieuse. Je peux même affirmer que l’ambiance discrètement chrétienne dans laquelle je baignais fut toujours plus ou moins pour moi associée à la fête. Les prêtres qui vinrent partager notre table à la maison m’ont tous laissé le souvenir d’hommes sympathiques et bienveillants. Le seul désagrément dont je me rappelle avait à voir avec un abbé qui me recevait en confession lorsque j’étais à l’école primaire, un homme débonnaire affligé d’une haleine qui sentait la banane, ce qui m’obligeait à retenir ma respiration quand il m’informait du divin pardon au moment même où je commettais un nouveau péché : n’ayant pas grand-chose à lui avouer, j’étais obligé de lui mentir en inventant quelques bêtises à lui confesser !

 

J’ai un rapport essentiellement culturel à la religion chrétienne, donc plutôt distancié. Cependant, de nos jours où l’autre religion dont plus personne ne peut ignorer la menace mortelle qu’elle fait peser sur la liberté de penser, la démocratie et le mode de vie occidental affiche sans cesse, partout et de toutes les manières son arrogance belliqueuse, je ne peux que me rapprocher des catholiques. Ma sympathie pour le christianisme tient aussi au fait que contrairement aux autres religions, il accepte, certes tant bien que mal et parfois contre son gré, de se questionner face aux évolutions du monde moderne, ce qui, tout en risquant de l’affaiblir en apparence, ne peut à terme que le renforcer et lui permettre de garder voire d’augmenter son rayonnement dans un rapport équilibré et pacifié avec la culture progressiste dont il est le socle.

  

Pour toutes ces raisons, quand j’aurai quitté ce monde, j’espère avoir des funérailles religieuses dans une église que je connais (de préférence Saint-Michel de Nantua, Saint-Léger d’Oyonnax ou l'église de mon village). J’essaierai autant que possible de tout organiser de mon vivant (musique, textes liturgiques, financement et sépulture) pour ne pas ennuyer mes proches. Sauf à tomber sur un curé borné (il en existe) refusant la cérémonie chrétienne à une âme laïque, mon vœu principal serait surtout d’avoir l’encens et la croix sur le cercueil et une tombe avec mon nom et mes dates ainsi qu’il en est pour tous les miens et pour mes plus anciens aïeux depuis des générations.

 

31 janvier 2018

Dans mon carnet vert

mes carnets,note,journal,prairie journal,journal intime,écriture de soi,autobiographie,aphorisme,instantanés,réflexions,blog littéraire de christian cottet-emard,carnet vert,carnet lisbon lovers,christian cottet-emardLes pessimistes ont souvent tort. Ce qui arrive est bien pire que ce qu’ils avaient prévu.

 

Je suis réactionnaire pour le seul plaisir de ne pas être progressiste à votre façon.

 

L’autre jour, le ciel était comme une vinaigrette en train de prendre.

 

Ce qui compte dans le roman, c’est le rythme. Le romancier n’a pas besoin de grande intelligence mais de rythme.

 

Lorsque quelque chose paraît absurde, illogique, incompréhensible, il faut toujours chercher du côté de l’argent, de la raison financière.

 

Pour quelqu’un qui mange trop comme moi, l’exercice physique n’est pas profitable car juste après l’effort, j’ai encore plus d’appétit.

 

L’école a gâché mon enfance, le travail a gâché ma jeunesse. On ne peut pourtant guère éviter l’une et l’autre. Quel dommage d’avoir dû attendre si tard pour en être débarrassé et vivre désormais ma meilleure période.

 

Si vous rencontrez quelqu’un qui vous dit l’argent, ce n’est pas ce qui compte, ce n’est pas l’important, vous verrez qu’il est d’autant plus sincère qu’il en a beaucoup et qu’il sait donc de quoi il parle.

 

Il n’y a rien de péjoratif dans la notion d’étranger. Il peut me plaire d’être étranger dans les pays que j’aime et dans ceux que je n’aime pas. Il m’arrive même parfois d’aimer me sentir étranger en mon propre pays.

 

© Éditions Orage-Lagune-Express (Prairie Journal, volume 2)

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